Les Risques de la Diabolisation Organisationnelle
Le besoin de cohésion
Le temps où nous vivions en tribus, en ‘dèmes’ disait-on à Athènes, paraît révolu, mais néanmoins des constantes que nous dirons « naturelles » perdurent, telles que le concept d’identité sociale que montra Henri Tajfel. Les gens chercheraient à se regrouper autour de principes, idées, opinions communes, comme une forme de mimétisme de l’esprit, qui nous paraît reproduire le phénomène de ressemblance physique des gens membres d’une même famille, pour des raisons génétiques.
Or, dans une entreprise, une organisation économique, il faut bien pouvoir recruter des compétences variées tout en essayant de constituer une cohésion sociale, une certaine identité (marque), et ceci pourrait suggérer qu’en plus des aptitudes professionnelles, il faudrait aussi se préoccuper des affinités intellectuelles. Si cela pourrait s’envisager pour quelques centaines de personnes, cela semble impossible lorsque la structure emploie des dizaines de milliers de gens.
Il va donc falloir plutôt s’inquiéter du risque que les tensions naturelles de divergences d’opinions, forme d’entropie sociale, ne soient exacerbées par un leader d’opinion qui viserait la diabolisation de l’organisation. Le diabolo étant ici pris dans son sens étymologique grec de séparateur, de coin qu’on enfonce dans une pièce de bois pour la séparer en deux. En notant que ce diabolo peut être totalement inconscient de son potentiel, ne pas voir de mal à ses idées, et croire qu’il a raison contre les idées promues par la direction de l’entreprise, qui cherche la cohésion et la performance.
Le défi de concilier la diversité des compétences professionnelles au sein d’une organisation avec la nécessité de construire une identité commune et une cohésion sociale est une épreuve complexe. Cependant, il est essentiel d’explorer les risques potentiels que les divergences d’opinions au sein d’une organisation peuvent présenter, notamment lorsque ces tensions sont exacerbées par des individus agissant comme des « diabolisateurs », tout autant que le voir comme une opportunité que d’un débat d’opinion surgisse des innovations propices à une meilleure prospérité.
Ce terme « diabolisateur » évoque la notion de diabolisation, qui, dans le contexte de la gestion d’une entreprise, peut se traduire par des individus ou des groupes cherchant à diviser, à séparer les membres de l’organisation. Ces diabolisateurs peuvent émerger en interne, souvent en tant que leaders d’opinion, influençant un public au sein de l’entreprise et cherchant à créer des clivages pour des motivations variées. Mais ils peuvent aussi venir de l’extérieur et être introduits virtuellement dans l’entreprise par des employés qui y répètent leurs idées.
Il est crucial de souligner que ces diabolisateurs ne sont pas nécessairement conscients de l’impact de leurs actions. Ils peuvent être convaincus que leurs idées, même si divergentes de la direction de l’entreprise, sont justes et nécessaires. Dans leur quête de la vérité ou de la justice, ils peuvent par inadvertance semer les graines de la discorde au sein de l’organisation.
Mais ces tensions, bien que potentiellement préjudiciables à la cohésion sociale, peuvent également être perçues comme des catalyseurs de créativité et d’innovation. Les divergences d’opinions peuvent stimuler le débat intellectuel, encourager la remise en question des idées établies et favoriser des approches alternatives. Les organisations doivent donc naviguer habilement entre la nécessité de maintenir une cohésion minimale et le potentiel positif inhérent aux conflits d’idées.
Cependant, il est important de reconnaître que cette dynamique est délicate. Un équilibre subtil doit être trouvé pour permettre l’expression d’opinions divergentes tout en évitant que cela ne dégénère en division nocive. Les leaders d’entreprise doivent être conscients de ces tensions et mettre en place des mécanismes pour canaliser les différences d’opinions de manière constructive, favorisant ainsi la créativité sans compromettre la cohésion.
En conclusion, la gestion de la tension dans la cohésion sociale au sein d’une organisation est un défi constant. Alors que les diabolisateurs peuvent représenter un risque pour la stabilité, ils peuvent également jouer un rôle dans la stimulation de l’innovation. L’enjeu pour les entreprises modernes est de trouver un équilibre permettant de tirer parti de la diversité des idées tout en préservant une identité commune essentielle à la réussite collective.
Les excès de la cohésion
Ces mécanismes sociaux et « tribaux » ont parfois voulu être exploité par des grandes entreprises qui, transposant les enseignements de Gabriel Tarde, ont organisé des rassemblements de foules (de commerciaux) dans des amphithéâtres pour les galvaniser avec des discours d’orateurs dynamiques et motivants, voulant ainsi doper leurs performances dans un but lucratif. Or cette utilisation caricaturale de phénomènes sociaux et politiques à des fins commerciales soulève des préoccupations quant à l’éthique de telles pratiques.
Le recours à des techniques de motivation de masse peut créer un environnement où la pression pour atteindre des objectifs financiers peut l’emporter sur la considération éthique envers les employés. Ces événements peuvent être perçus comme une exploitation des mécanismes psychologiques de l’individu, et la fine ligne entre la motivation positive et la manipulation peut facilement être franchie.
Sur le plan moral, ces manifestations peuvent susciter des réactions diverses au sein de l’entreprise. Certains employés peuvent se sentir galvanisés et motivés par l’énergie collective de ces événements, tandis que d’autres peuvent percevoir ces pratiques comme intrusives, voire manipulatrices. Lorsqu’une entreprise cherche à diaboliser les faibles performances, à créer des clivages artificiels pour renforcer la loyauté interne, elle risque de miner la confiance au sein de son propre personnel.
En effet, au lieu de réunir et de fédérer les employés autour d’un objectif commun, une telle approche peut générer du ressentiment et miner la cohésion sociale. Les employés pourraient se sentir exploités ou mal à l’aise face à des méthodes qui semblent jouer sur leurs émotions pour atteindre des objectifs financiers. Cela souligne l’importance cruciale d’intégrer des considérations éthiques dans la mise en œuvre de ces méthodes de motivation, afin de garantir que les pratiques adoptées soient respectueuses, transparentes et alignées sur les valeurs partagées au sein de l’entreprise.
En somme, l’utilisation de techniques de motivation inspirées par des phénomènes sociaux peut être une arme à double tranchant. Si elles sont mal utilisées, elles risquent de compromettre l’éthique et de créer des tensions internes plutôt que de renforcer la cohésion sociale au sein de l’entreprise. La réflexion approfondie sur les implications éthiques de telles pratiques est essentielle pour établir un équilibre entre la motivation des équipes et le respect des valeurs morales partagées.
Le juste milieu
Nous avons vu le besoin de cohésion sociale dans une structure pour éviter les clivages qui deviendraient diabolisants, séparant le corps social en groupe se haïssant mutuellement, tout comme les excès de volonté de cohésion lorsqu’ils tendent à de la manipulation psychologique. La problématique semble donc résider dans l’engagement des employés, leur motivation, leur performance, tout en ayant besoin de diversité d’opinions pour créer les conditions favorables à l’innovation et la créativité. La clé semble donc être dans l’existence d’une tolérance, d’un respect de tous et toutes, d’une approche inclusive de toutes les bonnes volontés.
On aura alors tort de croire que la motivation ne résiderait que dans les incitations financières, tout comme on aurait le tort inverse de penser qu’il faudrait être motivé de manière désintéressée. J’ai souvent vu des directions semblant opter pour l’un ou pour l’autre, rarement pour un système de double polarité qui aurait pour effet de fédérer davantage les gens, les équilibrer entre deux pôles moteurs. Néanmoins c’est ici le principe d’un moteur électrique, ou d’une dynamo, de la production d’énergie, de la transformation de l’électrique en mécanique.
Ce qui implique qu’il doive exister un certain niveau de tension sans que cela devienne du stress. Que les divergences d’opinions sont nécessaires à un certain degré d’entropie pour éviter que les idées stagnent, moisissent. Mais que ça ne doit pas stresser au point de créer des malaises de type psycho-sociaux qui rendent malades. L’attention doit donc être portée sur l’éventuelle violence de cette entropie afin qu’elle soit plaisante et non destructrice. Car on pourrait trouver des « purs lucratifs » en conflit avec des « purs désintéressés » allant jusqu’aux agressions, au harcèlement.
La nécessité d’atteindre le juste milieu entre cohésion sociale et tolérance des idées souligne l’importance d’une approche équilibrée pour former les individus à la compréhension et au respect mutuel. La formation à la tolérance des idées doit être un processus continu et réfléchi, adapté aux différents niveaux de compréhension et d’émotivité des apprenants.
Premièrement, il est crucial de commencer par inculquer les valeurs fondamentales de tolérance, de respect et d’inclusion dès le plus jeune âge. Les programmes éducatifs peuvent intégrer des leçons sur la diversité, l’importance du dialogue et la reconnaissance des différentes perspectives. Cependant, il est essentiel d’ajuster ces enseignements en fonction de la maturité émotionnelle et intellectuelle des élèves, afin d’éviter une surcharge d’informations qui pourrait être difficile à assimiler.
L’utilisation de méthodes interactives et participatives peut être particulièrement efficace. Plutôt que de simplement transmettre des connaissances, les enseignants peuvent encourager le dialogue, la discussion ouverte et la résolution de problèmes en groupe. Cela permet aux apprenants de développer des compétences critiques tout en apprenant à écouter et à comprendre des points de vue différents.
Dans le contexte professionnel, les programmes de formation en entreprise peuvent être conçus pour encourager la diversité d’opinions et la collaboration. Des ateliers interactifs, des simulations de situations conflictuelles et des discussions ouvertes sur des sujets sensibles peuvent aider les employés à développer leur capacité à naviguer dans des environnements de travail diversifiés sans compromettre la cohésion sociale.
Il est crucial de reconnaître que chaque individu a son propre rythme d’apprentissage et ses propres expériences qui façonnent sa perception du monde. Les enseignants et les formateurs doivent être sensibles à ces différences et adapter leurs approches en conséquence, veillant à ne pas susciter de tensions inutiles. Il est également important de favoriser une culture de l’apprentissage continu au sein de l’organisation, encourageant les individus à remettre en question leurs propres préjugés et à rester ouverts aux idées nouvelles.
En conclusion, la formation à la tolérance des idées nécessite une approche nuancée, tenant compte de l’âge, du contexte et de la maturité émotionnelle des apprenants. C’est un processus continu qui doit être intégré dans l’éducation dès les premières étapes de la vie et qui doit être renforcé tout au long de la carrière professionnelle. La pédagogie doit être empreinte de patience, d’écoute et d’adaptabilité pour créer des environnements propices à l’apprentissage sans violence.
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