En discutant avec des recruteurs et en notant des questions qu’on me posait en entretien, il m’est apparu qu’on voulait s’assurer de la cohérence de mon parcours professionnel, ma carrière, alors que le lien avec les tâches qu’on pourrait me confier paraissait ténu. Je présume donc que le désir sous-jacent est de s’assurer de ma raison, qu’elle n’est pas défaillante, afin de déterminer si je suis quelqu’un à qui on peut confier des responsabilités.
La Racine Étymologique de la Responsabilité :
Car la notion de responsabilité est ancrée très profondément dans notre culture puisqu’on peut la voir dans le mot grec λόγος (logos) qui signifie à la fois le mot, la raison, mais aussi le fait de rendre des comptes, ainsi que le mot λογῐ́ζομαι (logizomai) qui désigne le fait de compter, calculer. Or je crois que si on nomme des opérations, c’est pour pouvoir les saisir, s’en servir, et demander à d’autres de les utiliser. Grâce à cela, en demandant à quelqu’un « quel est votre logos », vous lui demandez de vous fournir un discours qui explique ses raisons, pourvu qu’elles vous semblent justes.
Dès lors, avec ce risque qu’on veuille comprendre vos raisons pour savoir si elle seraient justes, si vous avez « bien fait » ou « mal fait », il faut être en mesure de savoir pourquoi on fait ce qu’on fait, alors que cela n’est pas toujours évident, et qu’en plus on peut craindre que votre jugement ne soit pas celui des autres. De ceci devrait alors déterminer l’ampleur et la complexité des responsabilités qu’on peut vous confier. Qu’est-ce que votre raison est en capacité de gérer, et quel est votre aisance en communication et en assurance quand il faut en répondre ? Effectuez-vous de bons choix ?
Connaître Sa Raison – Socrate et l’Étonnement de Soi-même :
Se questionner profondément, c’est la première pierre pour édifier la responsabilité individuelle : Socrate enseigne que l’étonnement de soi-même ouvre la voie à des décisions alignées avec notre raison. Si on prend son Apologie, dans la version de Platon ou celle de Xénophon, nous pouvons noter qu’il dit ce qu’il à fait, pourquoi il l’a fait, et à quoi cela l’a amené comme constats. On s’étonna alors qu’il n’ait pas prononcé un meilleur discours (logos) puisqu’il enseignait la rhétorique et l’art de combattre par des mots les raisons de ses adversaires. Il convient donc, par cette connaissance de soi, de se rendre compte de nos valeurs, de nos objectifs, et des raisons qui nous y ont amené. Où voulons-nous aller et pourquoi, ce quoi étant d’une part une cause originelle et d’autre part une cause finale (ou plusieurs).
Maîtriser les Nuances – Savoir, Croire, Spéculer, Imaginer :
C’est alors qu’au-delà de ces causes jouent également nos connaissances qui nous permettent de présumer si un objectif peut être atteint et comment. Mais ces connaissances peuvent alors être subdivisé entre ce qu’on sait, ce qu’on croit, ce qu’on spécule, et ce qu’on imagine. Maîtriser ces nuances entre ‘savoir’, ‘croire’, ‘spéculer’ et ‘imaginer’ permet de forger une communication claire et une pensée éclairée. Comment savons-nous ce que nous pensons savoir ? Qui est l’auteur de ces connaissances, sans en être responsable puisque c’est nous qui avons fait le choix de les utiliser.
Méta-Cognition – Savoir Comment On Sait :
La responsabilité individuelle semble donc s’épanouir dans la méta-cognition : comprendre comment nous savons ce que nous croyons savoir ouvre la voie à des actions conscientes et éclairées. Et par conséquent à une capacité de répondre de nos actions, expliquer nos choix, et surtout pouvoir les présenter avant de réaliser l’action pour y être autorisé. Car s’il est bien de confier des responsabilités à quelqu’un, il faut au préalable s’assurer qu’il aura la capacité d’en répondre, de permettre de comprendre ses raisons, sans aller jusqu’à les inventer ex-post.
Leadership et Responsabilité : Une relation complexe à démêler
Tout ceci fait qu’il paraît surprenant qu’on confierait des rôles de management à des employés se montrant performants, bien que ce soit évidemment un incitatif à être performant, car il serait plus rationnel de confier des responsabilités à ceux qui savent avec brio rendre des comptes, et effectuer leurs choix avec une grande conscience de ce qu’ils font. La question sera alors de savoir ce qui entre la responsabilité et le leadership est accessoire à l’autre.
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