Entreprendre vient-il de soi ou de son dæmon ?

Entreprendre vient-il de soi ou de son dæmon ?

Créer, est-ce décider ou répondre ?

Notre désir de créer une entreprise est-il vraiment le nôtre ?

Dans la tradition, probablement héritée de Milton Friedman, la création d’entreprise demande un business plan, une étude de marché, une rationalité économique. Cela revient à faire de l’entrepreneur une sorte de zombie mesquin n’ayant que le profit pour appétit. Pourtant l’entrepreneur est humain, il a une âme.

Notre paradigme de l’âme considère alors qu’elle n’est pas moniste ou dualiste mais faite de 5 fonctions : l’anima, l’animus, le nexus, le rector, et le dæmon (voir https://psychagogie.fr pour plus de détails). Ce dæmon correspond à celui que Platon décrivit dans le Phèdre et la République (δαίμων), et nous croyons qu’il est aussi ce que l’Islam appelle un qarin. Ce dæmon (ou qarin) agirait sur nous comme un guide, immanent ou transcendant, en nous insufflant des désirs, les soumettant à notre libre-arbitre. Tel une autorité il chercherait à nous faire grandir, parfois en nous mettant en situation de nous opposer à lui pour accroître nos vertus.

Dès lors, créer une entreprise est-il un acte purement rationnel relativement à la gestion de notre carrière, comme si parvenu à un certain stade de progrès l’entreprenariat en serait la suite logique, ou bien y sommes nous enclins comme mû, motivé, par une forme de lubie ? Comment l’explique t’on ?

I. La rationalité : construire selon le monde

On présente souvent les entrepreneurs comme ayant eu une idée plus ou moins géniale (ou dæmonique) mais en réalité, pour qu’une affaire marche, nous croyons qu’il lui faut les 4 conditions suivantes :

  1. savoir où on excelle en compétences, quelles sont nos vertus ;
  2. savoir quelle type de clientèle correspond à notre ipséité ;
  3. avoir déterminé un ‘pain point’ de cette clientèle qu’on se propose de solutionner (ce qu’ils ont besoin) ;
  4. savoir organiser la fourniture de cette solution (ce que nous avons besoin).

Le prix de la solution, et son volume de vente, découlent alors de ces conditions, et de ce fait la profitabilité, la prospérité.

II. Le δαίμων : créer selon l’âme

Le problème qui se pose en répondant à l’appel de notre dæmon est alors de vouloir réaliser n’importe quoi et de se retrouver ensuite dans un échec difficile à gérer. Ces échecs ne sont certes que des tentatives qui nous font progresser, mais ils ont un coût, et il convient de le minimiser. Le prérequis, lorsqu’on veut se laisser aller à suivre les appels de son dæmon est donc à la base la prudence : l’évaluation des risques et des gains potentiels, pour réussir à se prémunir de pertes dramatiques.

III. Vers une méthode démonique de création

Nous proposons alors que le candidat à l’entreprenariat se pose 6 questions :

  1. Quelle œuvre me hante ?
    👉 Cette question distingue le projet voulu par l’ego (ambition, reconnaissance) de celui voulu par le δαίμων (nécessité intime).
  2. Dans quels contextes ma vitalité se déploie-t-elle ?

    👉 Le δαίμων ne s’exprime pas dans l’abstrait : il a besoin d’un milieu favorable.
  3. Qu’est-ce que je ne supporte pas de voir gâché ?
    👉 Ici se dévoile la blessure originelle du δαίμων : ce qui, dans le monde, blesse son idéal.
  4. Quel type d’âme attire la mienne (et réciproquement) ?

    👉 Le δαίμων est reconnaissable par la valence qu’il suscite : les âmes compatibles l’éveillent.
  5. Que se passe-t-il quand je trahis cet appel ?
    👉 Le δαίμων n’est pas vindicatif, mais pédagogique.
  6. Quelle offrande pourrais-je lui faire ?

    👉 Une entreprise démonique ne doit pas être “possession”, mais dialogue continu avec cette source intérieure. L’offrande, c’est ce qui garde l’entreprise vivante.

IV. La liberté retrouvée : l’entreprise comme acte d’accord

Nous touchons ici à un point délicat, où se séparent la mystique et l’éthique. Car si l’on admet l’existence d’un δαίμων – ce principe d’inspiration intérieure qui oriente nos élans créateurs – il faut aussitôt rappeler que l’homme demeure responsable de ses actes. C’est tout le sens du schisme augustinien : pour Augustin, puis pour Thomas d’Aquin, l’individu ne peut être sauvé que par son propre libre arbitre, en assumant la souveraineté de sa volonté. Autrement dit : nul ne peut déléguer à une instance invisible, fût-elle divine ou démonique, la charge de ses décisions.

Ainsi, même si le δαίμων inspire, c’est toujours l’entrepreneur qui agit. Il reçoit peut-être un appel, mais il reste l’auteur de la réponse. Il ne saurait excuser ses erreurs, ni justifier ses échecs, en invoquant la volonté d’entités mystiques : la responsabilité demeure entièrement humaine. Une entreprise n’est pas un oracle, c’est une œuvre au monde, et elle engage avec elle des collaborateurs, des clients, des partenaires — autant de vies réelles, qui ne doivent pas subir les conséquences d’une confusion entre inspiration et délire.

Reconnaître son δαίμων n’abolit donc pas la liberté ; au contraire, cela la rend plus exigeante. Car il ne s’agit pas de se soumettre à une voix intérieure, mais d’en dialoguer lucidement. L’entrepreneur inspiré n’est pas un médium, c’est un arbitre : il écoute, puis il décide. Son entreprise devient alors non pas la manifestation d’une force obscure, mais le lieu d’un accord conscient entre la raison et l’inspiration, entre ce qu’il veut et ce qu’il sent devoir accomplir.

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