Le management est souvent présenté comme une compétence essentielle dans le monde du travail. Pourtant, si l’on examine de plus près la notion de compétence, une question se pose : le management peut-il véritablement être considéré comme une compétence au sens strict, ou est-il plutôt un ensemble de savoir-faire et d’aptitudes adaptables selon les contextes ? Ce questionnement révèle un paradoxe, en particulier lorsque l’on compare l’approche française de la compétence à la vision anglo-américaine des skills, abilities et responsibilities.
I. Qu’est-ce qu’une compétence ?
En français, la compétence dérive du latin peto, qui signifie « réclamer » ou « obtenir ». Ainsi, être compétent implique non seulement de posséder un savoir-faire, mais aussi d’être capable d’obtenir un résultat conforme à un objectif, ce qui distingue fondamentalement la compétence de la simple maîtrise technique d’une tâche.
Cette définition permet de distinguer trois niveaux :
- Le savoir-faire (skill), qui correspond à une capacité technique acquise, comme coder un programme informatique ou rédiger un rapport.
- Le savoir-être (ability), qui renvoie aux dispositions comportementales, comme la gestion du stress ou la communication.
- La compétence, qui inclut les deux précédents aspects mais y ajoute la capacité à atteindre un objectif précis.
Or, sans compétence avérée, il n’y a pas de responsabilité : un médecin est responsable de guérir, un avocat de défendre son client. Mais un manager peut-il être tenu responsable d’un résultat si son rôle se limite à organiser et coordonner sans garantie d’efficacité finale ?
II. Le management vu à travers le prisme anglo-américain
Dans les pays anglo-américains, on distingue clairement les skills (compétences techniques), les abilities (aptitudes personnelles) et les responsibilities (devoirs et obligations). Le management y est envisagé comme un ensemble de capacités et de techniques à maîtriser, mais sans qu’il soit question d’une compétence unifiée garantissant un résultat précis et mesurable.
Ainsi, un bon manager n’est pas jugé sur une finalité propre, mais sur sa capacité à exécuter des tâches : organiser une équipe, optimiser des processus, motiver des collaborateurs, assurer un reporting efficace. Il est évalué en fonction de critères opérationnels immédiats, sans que l’on questionne ce qu’il vise fondamentalement.
De plus, dans cette approche, un manager ne décide pas toujours de la stratégie, mais applique des procédures et s’adapte aux objectifs fixés par des instances supérieures. Il n’est donc pas un décideur autonome mais plutôt un exécutant de haut niveau.
III. Le paradoxe de la compétence managériale
Le management peut-il être une compétence au sens où nous l’avons défini ? La question se pose car il ne poursuit pas une finalité unique et déterminée. Son rôle oscille entre plusieurs missions parfois contradictoires :
- Assurer la gestion des ressources humaines,
- Optimiser la productivité,
- Veiller à la stratégie et à la vision d’entreprise.
Or, ces objectifs fluctuent en fonction des besoins économiques, des attentes de la direction et des évolutions sociétales. Contrairement à un chirurgien qui vise la guérison du patient ou un avocat qui plaide pour la cause de son client, le manager n’a pas d’objectif fixe et mesurable.
D’ailleurs, en France, il n’existe pas de « métier » de manager au sens du répertoire ROME (Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois). Le management est plutôt perçu comme une fonction transversale, souvent adossée à une expertise technique.
IV. Conséquences et enjeux
L’illusion d’une « compétence managériale » pose plusieurs problèmes :
- Formation et recrutement : en voulant professionnaliser le management, on se retrouve avec des formations parfois trop généralistes et déconnectées des réalités du terrain.
- Reconnaissance et responsabilités : si le manager n’a pas de finalité propre, peut-on le tenir responsable des échecs de son organisation ?
- Distinction entre managers et dirigeants : un manager applique des outils et assure l’opérationnel, tandis qu’un dirigeant définit une vision et assume des choix stratégiques.
- Légitimité de la posture managériale : si le management n’est pas une compétence au sens strict, mais un rôle intermédiaire entre l’exécution et la stratégie, alors comment justifier sa place centrale dans les entreprises modernes ?
Dès lors, pour rendre le management véritablement « compétent », il faudrait lui assigner une finalité claire et stable, ce qui suppose une redéfinition en profondeur de cette fonction.
Conclusion : redéfinir le management pour lui donner du sens
Le concept de « compétence managériale » se heurte à un paradoxe fondamental : le management est un moyen sans finalité propre. Contrairement aux métiers traditionnels, il ne vise pas un résultat unique et mesurable. Cela explique pourquoi il est difficile de le considérer comme une véritable compétence au sens fort, et non comme un ensemble de savoir-faire et d’aptitudes adaptés à des contextes fluctuants.
Plutôt que de chercher à faire du management une « compétence » formelle, ne faudrait-il pas repenser son rôle et ses responsabilités pour lui donner un véritable objectif ?
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