Le mot management dérive d’un vieux français manéger qui désigne le fait de conduire un cheval dans un manège, lui faire exécuter des déplacements contrôlés. Il est alors intéressant d’un point de vue de la formation des managers de leur faire faire une reprise d’équitation afin qu’ils saisissent ce principe de manéger, où le cavalier est assez comme le passager d’un taxi qu’ils ne conduisent qu’indirectement, par des indications de là où aller, quand partir et quand s’arrêter. Car le véritable conducteur de cet équipage c’est le cheval, qui de bon gré se soumet à la volonté de son cavalier, mais peut parfois décider de refuser un ordre. Le cavalier guide mais c’est le cheval qui exécute.
Or, dans le monde de l’entreprise, il est bien de saisir cette culture sous-jacente de la subordination qui nous vient des grecs, et en particulier d’Aristote. Pour celui-ci il y avait des citoyens en capacité d’être maîtres chez eux, et des domestiques appelés δοῦλος (doulos) mot qui signifie autant un serviteur que du bétail, un esclave. Il y avait un commerce de ceux-ci analogue au commerce actuel de machines-outils : on les achetait et on avait ensuite un coût d’entretien à assurer. Or Aristote nous dit entre autres qu’il fallait éviter d’écouter leurs idées, que les maîtres devaient être les seuls à déterminer ce qu’il convient de faire, à l’image du cavalier sur son cheval.
Si le fait d’être propriétaire des travailleurs a cessé (et pas depuis si longtemps), celui que les dirigeants ne soient plus les seuls à avoir les idées maîtresses sur la manière de faire fonctionner leur entreprise est actuellement en cours d’effectuation. On trouve encore des gens pour dire que le dirigeant est celui qui « porte la vision de l’entreprise », comme une sorte de rémanence faible du principe édicté par Aristote, qui avait également conduit à établir une gouvernance des pays par une aristocratie, c’est à dire des gens présumés dotés de qualités vertueuses et intellectuelles que les autres, le « peuple vulgaire », n’avait pas. On n’est ici pas très loin non plus de Frederik Taylor confiant l’organisation (dite « scientifique ») du travail à des ingénieurs, sorte de « travailleurs nobles ».
Donc plutôt qu’une « libéralisation de l’entreprise », je préfère dire que nous assistons à une démocratisation, que le pouvoir décisionnaire se déplace peu à peu vers les travailleurs, les employés, pour les impliquer davantage. Qu’au delà de leur contrat de travail il y ait un réel engagement de leur part dans la mission de l’entreprise, qu’ils y soient comme associés. Dès lors, la fonction de manager-cavalier est a revoir, pour tenter d’imaginer un nouveau rôle pour lui, qu’au lieu de commander et décider, ce soit davantage celui qui conseille, un peu comme peut le faire ChatGPT. Il faudra donc qu’il soit formé au conseil, dans l’idée qu’il n’effectuera plus les choix, qu’il sera davantage là pour en évaluer la pertinence grâce à son expertise supérieure, et sa sagacité.
Je crois alors que pour conseiller il existe deux approches : soit celle du conseil pratique lorsqu’on sait comment il faut s’y prendre pour faire quelque chose, et qu’il suffit de l’expliquer ; soit celle d’une méthode d’analyse de la problématique, un questionnement de celle-ci, socratique, où par le raisonnement on parviendra à identifier une solution efficace. Cette seconde approche nécessite alors un dialogue qui ne soit pas une conversation ou un débat, d’être formé au dialogue, comme dit par exemple le faire Noetic Bees à Lyon, et d’être disposé à prendre le temps de le mener.
En conclusion, notre réflexion nous conduit à envisager une transformation significative dans la manière dont le rôle du manager est défini au sein de notre entreprise. À mesure que nous évoluons vers une démocratisation de l’entreprise, la transition du manager en tant que décideur vers un conseiller revêt une importance cruciale. Cette transformation s’articule autour de la compréhension profonde de deux approches du conseil : celle du conseil pratique, où le savoir-faire est transmis de manière explicite, et celle de l’analyse socratique, qui exige un dialogue réfléchi et une exploration conjointe des problématiques. La formation des managers à ces deux approches devient ainsi impérative, soulignant la nécessité d’acquérir des compétences en dialogue et en analyse. En embrassant ce nouveau rôle de manager-conseiller, nous ouvrons la voie à une collaboration plus épanouissante, où l’expertise supérieure du manager est mise au service de la pertinence des choix, favorisant ainsi une culture d’entreprise véritablement participative et engagée.
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