Fusac : comment gérer un choc culturel ?

Fusac : comment gérer un choc culturel ?

L’idée que l’on se fait de ce qu’est la culture, selon qu’on soit anthropologue ou docte en sciences de gestion, n’est pas la même. Reflet de traditions immémoriales pour l’un, outil de pilotage de l’activité pour l’autre, en particulier de la maximisation des performances. Or je crois que la culture, au-delà de représentations partagées (croyances ou valeurs ou idées), sert surtout de repère pour savoir selon quels axes la communauté investit son attention et ses efforts. Quelque part elle rassure pour savoir qu’il y a une direction que l’on suit, ce qui est important et ce qui ne l’est pas.

Il est alors erroné de croire qu’on change de culture comme d’un vêtement, qu’on s’adapte aussitôt que la culture change, sans risque de dissonance cognitive (Festinger, 1957). Je crois davantage que chaque individu se sentirait plus à l’aise dans certaines cultures qui lui conviennent, et souffrirait de stress dans les autres.

Ainsi, imaginons par exemple une entreprise qui aurait appliqué les préceptes du « balanced scorecard » de Kaplan & Norton, être rachetée par un groupe qui au lieu de cela appliquerait une politique stratégique de RSE. Soudainement les valeurs changeraient, des choses importantes ne le seraient plus, et d’autres le deviendraient. Comment alors s’imaginer que les employés vont y obéir alors que d’une certaine manière leur « religion » vient de changer brutalement : au lieu de vénérer actionnaires, clients, processus, et apprentissage, les nouvelles idoles sont l’environnement et les valeurs sociales.

Pour gérer une telle transition, je propose un plan en quatre phases de ce que l’on pourrait appeler une « conversion culturelle » :

1. Identifier (reconnaître) l’ancienne et la nouvelle culture

Il s’agit d’abord de nommer ce qui change. Cela suppose de dresser un inventaire des valeurs, symboles, indicateurs et rituels de l’ancienne culture (par exemple, les pratiques issues du balanced scorecard) et de la nouvelle (par exemple, la logique RSE). Reconnaître l’héritage permet d’éviter l’impression que l’histoire passée est méprisée ou effacée, et donne à chacun une conscience claire du passage qui s’opère.

2. Comparer avantages et inconvénients

La seconde phase consiste à donner un sens rationnel au changement. Il s’agit de mettre en lumière les avantages de la nouvelle culture sur l’ancienne (par exemple, une meilleure adaptation aux enjeux contemporains, environnementaux et sociétaux), et les limites de l’ancienne (risque de court-termisme, survalorisation des actionnaires). Cette comparaison instaure une logique de progrès et évite l’impression d’une rupture arbitraire.

3. Communiquer et légitimer la nouvelle culture

Vient ensuite la phase de persuasion et de séduction. Une campagne de communication, interne et externe, est nécessaire pour mettre en récit la nouvelle orientation stratégique. À l’interne, par des réunions, des supports de communication, des moments de dialogue qui permettent aux salariés de comprendre et d’adhérer. À l’externe, par des actions qui démontrent la sincérité et la crédibilité de l’engagement RSE, afin de convaincre clients, partenaires et candidats. Cette communication vise non seulement à informer, mais aussi à légitimer la nouvelle culture.

4. Désigner des « évêques » de la nouvelle culture

Enfin, il est essentiel d’incarner le changement. Des figures reconnues, proches du terrain, doivent être désignées pour servir de référents, répondre aux questions, clarifier les doutes et médiatiser les tensions. Ces « évêques » de la nouvelle culture évitent que celle-ci ne reste un discours abstrait : ils en deviennent les garants vivants et visibles. Ils offrent une présence rassurante qui permet à la communauté de traverser la mutation culturelle avec davantage de confiance.


Ainsi, la conversion culturelle d’une organisation ne peut se réduire à un simple changement de slogan ou de tableau de bord. Elle exige reconnaissance, justification, persuasion et incarnation. C’est à ce prix que le passage d’une « religion » organisationnelle à une autre peut se faire sans fracture excessive, et avec une chance réelle d’adhésion.

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